mercredi 28 septembre 2011

Les Bonsaïs suisses passent à l'heure d'automne

Ce texte a été publié dans la revue Esprit Bonsaï n°54 (octobre-novembre 2011)
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Le dernier week-end d’août, Bonsaï Autumn, à Oensingen, annonçait avec un peu d’avance la saison des feuilles qui tombent.
Ce sont les 27 et 28 août 2011 qu’a eu lieu la septième, et dernière, édition de Bonsaï Autumn, à Oensingen. Petite bourgade suisse allemande, Oensingen est à mi-chemin entre Bern, la capitale politique, et Zürich, la capitale économique. Sur ce plateau suisse où le bonsaï a pris racine il y a déjà quelques décennies : la patrie de Pius Notter est à trois sorties d’autoroute.

Il y a quelques jours sévissait la canicule, première vraie période de chaleur depuis la fin juin, dans cette année au climat étrange. Et subitement, la température chute ! 8 °C au lever ce dimanche de fin août : matin clair et brumes qui lèchent les champs de chaque côté de l’autoroute... À croire que la météo a voulu honorer l’exposition, but de notre voyage, en avançant d’un mois la saison à venir.
C’est donc en face du Birkensaal d’Oensingen que nous parquons à 9 h tapantes ce dimanche matin. Les portes de l’exposition sont à peine ouvertes, et certains marchands ont certainement un peu traîné au lit : ils s’activent, portent quelques caisses pour réapprovisionner leur stand avant les premiers visiteurs. En attendant d’entrer, premier coup d’oeil vers la salle : Walter Pall, seul dans les allées, profite pour admirer quelques arbres dans la tranquillité matinale.



Draps rouge et fonds blancs
Après avoir passé le hall, nous pénétrons immédiatement dans l’unique salle de l’exposition. Elle est en fait relativement petite, et accueille quatre travées d’exposition d’une bonne vingtaine de mètres chacune. En entrant, la lumière matinale, fraîche, est subitement plus chaude, plus dense. Les nappages s’accordent parfaitement avec les murs de la salle : un rouge profond, très élégant et chaleureux qui réverbère la lumière naturelle tombant du haut des lanterneaux. Le visiteur s’enfonce dans cette atmosphère agréable dans un calme méditatif. La visite peut commencer.


Les arbres se suivent sobrement sur le drapé rouge et les fonds blancs, très simples. Généralement de grande taille, les arbres sont mâtures et travaillés très soigneusement. L’exposition profite d’une grande variété d’espèces, notamment parmi les feuillus : olivier, érable, troène, charme – d’ici et de Corée -, hêtre, chêne, prunier, pistachier, potentille, tilleul, et... , espèce nouvelle pour moi : un filaire. En contrepoint, des pins, mélèzes et genévriers : la musique visuelle est variée, agréable et pleine de surprises.
Il faut bien admettre que si les arbres présentés sont dans l’ensemble très beaux, certains ne retiennent pas l’attention. De forme banale, ou exhibant des branches ébouriffées, ils ne soutiennent pas la comparaison.


Surpris par la canicule
À y regarder de plus près, il semble que des arbres suppléent aux titulaires prévus : en effet, des « trous » dans l’exposition trahissent des désistements de dernières minutes. Raymond Veuthey, bonsaika octogénaire valaisan, confirme l’hypothèse : son mélèze, prévu de longue date, a cédé la place à un chêne suite à un « accident » météorologique. La canicule de mi-août en a surpris plus d’un....
C’est sur la droite de la salle que nous trouvons trois arbres majeurs, dont l’arbre primé : un majestueux genévrier de Chine variété ‘Itoigawa’ exposé par Enrico Savini – également démonstrateur. L’arbre apparaît très équilibré entre bois mort et végétation, avec beaucoup de finesse.


C’est en « scrutant » le travail des branches que l’on réalise la précision du travail et la sensibilité de l’auteur de la mise en forme. Par contre, la magnifique tablette qui porte l’arbre est à mon avis trop chargée et détourne l’attention d’un arbre déjà riche en rythmes et variations.


C’est juste en face, en se retournant, que l’on peut admirer l’un des deux « dauphins » – mentionné « Runner Up » par les organisateurs : également un genévrier de Chine variété ‘Itoigawa’, également exposé par un italien, également démonstrateur : Mauro Stemberger. Un arbre bien connu, et pourtant toujours encore impressionnant quand on lui fait face. Avec un bois mort galbé comme un cou de taureau, sa puissance frappe ! C’est incontestable.

Une taille réduite 
L’autre « dauphin » est plus loin, presque discret, en fait, d’une taille étonnamment réduite au milieu des autres arbres. Encore un conifère et encore un Italien : un if appartenant à Stefano Frisoni.


Pour moi, l’un, si ce n’est le plus beau des arbres de cette édition. En particulier parce que du haut de sa petite cinquantaine de centimètres, il parvient à nous envoûter. En focalisant le regard avec une succession concentrique « silhouette - feuillage - veine vivante - bois mort » qui fait plonger au plus profond de son être. Aspiré sous cette couronne impeccable d’aiguilles denses et luisantes, nous nous sentons ensorcelé, réduit à l’échelle de ce petit arbre à la puissance sereine... Pour moi, ce vertige est le signe d’un arbre réussi.
À noter que son pot, très bien préparé, convient bien à l’arbre.







Il faut chercher les « Mentions » pour trouver un arbre « français » – à Xavier Dreux – entre un Allemand  et un .... Italien, encore. Cet érable monumental, de plus d’un mètre de hauteur, enflamme les sens avec un feuillage en avance d’au moins un mois. Du jaune doré à l’ocre flamboyant, les nuances des feuilles immobiles semblent vibrer dans l’air. L’effet est renforcé grâce à une mise en forme très légère laissant de nombreux vides. L’arbre est donc très transparent; le regard le traverse littéralement, effleurant à peine les quelques feuilles qu’il rencontre sur son chemin. Une impression de calme. Un instant paisible, suspendu dans un air léger sur le point de s’enflammer.
Dans le palmarès, viennent ensuite exclusivement des feuillus : un chêne vert de Zino Rongo, un mirabellier de Hartmuth Münchenbach, un pistachier de Marija Hajdic et Andrija Zokicc et un hêtre rouge de Stefan Gmür. Tous de très beaux arbres avec beaucoup de caractère. Parfois peut-être dans des pots ou sur des tablettes qui ne leur conviennent probablement pas au mieux...




De nombreuses démonstrations


 
Le calme de la salle d’exposition n’est jamais perturbé par la pourtant proche scène des démonstrations. Là-haut, dépaysement instantané : les quelques mots échangés fusent en... italien. pas moins de trois démonstrations menées pas des Transalpins : Enrico Savini et l’équipe de Progetto Futuro, Zino Rongo et Mauro Stemberger. La complicité italienne fonctionne à merveille à l’image de Nicola Sorressa qui donne un coup de main ici ou là, selon les besoins. Le travail théâtral de Mauro disparaît presque derrière son épicéa gigantesque dont le conteneur se déforme sur une chaise trop petite. A l’opposé, Zino s’applique sur un petit pin que Walter Pall commente régulièrement et dont il fait ressortir les superbes qualités. « Bei Lavoro ! ». Le calme et la concentration d’Enrico Savini, auréolé du 1er prix de cette édition, est révélateur du soin avec lequel il forme pas moins de deux arbres en un week-end.




Plus solitaires, les Carlos van der Vaart, Budi Sulityo, René de Boni travaillent en silence des arbres aux potentiels assez variables. Quant à Marc Noelanders, il tient démonstration sur un très beau pin blanc greffé, dehors, sous le soleil dominical. 

Bonsai Autumn c’est aussi des marchands
Sur un des flancs de la salle, quatre stands de pros sont baignés de lumière. Les kusamono et magnifique pots lilliputiens de Carlos Hebeisen-Takahama, tout comme les figurines animalières d’Henk Frezen s’embrasent dans les rayons de soleil : les vernis subtils chatoient le regard de l’amateur. A côté, un visiteur s’intéresse tout particulièrement à ce cerf couché...
Personnellement, mes yeux reviennent toujours à cette sublime libellule qui s’envole, tirant derrière elle un chapelet de gouttes d’eau suspendues au-dessus d’un étang improbable.
Rolf Hitz propose quant à lui des pots à bonsaï, des pots sobres et qui s’affirment néanmoins comme issu d’une démarche artisanale de «chez nous».
Comme l’organisation est aussi précise qu’un coucou suisse, ne manque qu’un facteur de tablette pour fournir à l’amateur tout le matériel nécessaire à un beau tokonoma : c’est Kurt Zgraggen qui nous fait profiter de son hobby, en faisant et défaisant avec bonne humeur le joyeux empilement de ses tablettes.



De retour, quelques regrets...
Une très belle exposition donc. Et pourtant quelques regrets. Tout d’abord une fréquentation que j’ai trouvée très faible. Y’a-t-il eu déficit de publicité auprès du grand public? Une étonnante «légèreté» dans la mise en place de certains arbres (on a même vu un tabouret IKEA comme tablette!) Y’a-t-il une certaine désinvolture de la part de l’organisation? 
En outre, l’absence des arbres de Pius Notter, traditionnellement invités de marque du Bonsaï Automn aurait complété l’exposition; Walter Pall lui-même ne savait pas pourquoi ils manquaient. Et pourquoi ne pas y trouver les oeuvres de Serge Clémens pourtant présent le samedi parmi les visiteurs, en voisin...

... et finalement une grande tristesse
La raison est sûrement à trouver ailleurs: sur le site de Bonsaï Autumn, lui-même.
«This was it!! Thank you for all the support over the year» («Ca y était! Merci du soutien durant toutes ces années); c’est par ces quelques mots et un bref billet que les organisateurs annoncent sur leur blog (http://www.bonsaiautumn.com/?p=172), au lendemain même de l’exposition, la disparition de celle-ci; septième du nom. Sans commentaires.

Elle fut créée en marge des sentiers fédératifs du Bonsaï en Suisse; elle avait rencontrée son public; elle était capable de fédérer des amis, passionnés, de montrer de très beaux arbres. Mais c’est peut-être parce qu’elle n’est pas parvenu à aller au-delà, à fédérer toutes les énergies de la planète Bonsaï, et au final un public «hors sérail», que Bonsai Autumn s’évanouira sous le linceul hivernal. En nous léguant le message que, notre communauté de passionnés est trop petite pour s’affranchir d’une vraie cohésion, d’une vraie passion et du bénéfice de l’union. Tous, nous devons investir notre énergie dans toute initiative qui fait grandir et perdurer notre art.

Mon Maître dit: « Vos arbres vous survivront! Si vous les faites beaux, d’autres voudrons s’en occuper.» Il a bien sûr raison: la beauté et l’émotion que nous offrent le Bonsaï, est la seule chose qui importe. Au-delà des contingences.

C’est ce qui nous galvanisera au travers des frimas qui arrivent, vers un printemps nouveau: d’autres saisons, d’autres expositions, et des arbres toujours plus magnifiques.
Pour que le Bonsaï nous survive...



(Article publié dans Esprit Bonsaï n°54, octobre-novembre 2011)

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