(Ses origines par Keizō Andō Sensei - adaptation libre d'un élève attentif)
Au creux de l'ère féodale d'Edo, secouée de conflits guerriers entre armées de samouraï, le shogun, qui concentre les pouvoirs et les richesses, se protège dans un "donjon" fortifié qui lui sert de chambre à coucher et de coffre à trésor. Pour asseoir sa supériorité et s'assurer du dévouement soumis de ses vassaux, il achève le rituel du lever par une apparition au seuil de sa chambre. Il y fait face à ses seigneurs et lieutenants venus le saluer qui remplissent, par ordre hiérarchique, la salle qui jouxte les appartements seigneuriaux. Alors, d'un piédestal - le "kamisa" - qui le surélève par rapport à son audience, il harangue, ordonne ou condamne, selon. Puis il se retire, laissant l'estrade emplie de son absence et empreinte de son souvenir, respectueux, craint et sacralisé.
Nul ne pénètre cette alcôve, ce sanctuaire.
Lorsque le maître des lieux est en campagne, lorsque son absence se prolonge, on compense le vide laissé par un rouleau que l'on suspend au mur de l'alcôve. Le "kakejiku" rappelle les vassaux au souvenir de leur maître et à leurs devoirs.
Avec la montée en puissance des clans des vassaux, ces derniers, dans leurs contrées, reproduisent une alcôve dans leurs demeures. Ainsi, ils démontrent leur respect pour le shogoun et porte dans leurs terres la force et l'autorité du Maître!
Le temps passant, sous l'ère Meiji, avec la remise en question du passé, l'ouverture du pays aux influences étrangères et la disparition de la classe des samouraïs, le tokonoma gagne la demeure traditionnelle et s'ouvre aux arrangements floraux. L'ikebana, art érudit et de très grande qualité est autorisé à représenter le sacré. Le bonsaï est encore interdit de tokonoma: la terre et les insectes qu'il apporte sont autant de souillures pour un endroit porteur du sacré.
C'est plus tard, à l'ère Taichō, que les arbres de grande valeur, préparés avec soins, sont autorisés à entrer dans l'alcôve sacrée.
Le bonsaï remplace alors le kakejiku dans le rôle de porteur de la représentation, qui est donc retiré en présence d'un arbre, afin d'éviter la duplication.
L'arbre est présenté sur une petite table qui le surélève par rapport à l'observateur et selon sa forme le met en valeur. Il est accompagné par une herbe en pot qui remplit rôles symbolique et esthétique: en contrepoint, à l'arbre, le "shitakusa" borne l'espace vide qui, ainsi mis en tension, renforce la force et la symbolique de l'arbre; symboliquement, alors que l'arbre représente la maturité, porte des valeurs de sagesse et d'aboutissement, l'herbe (Sō) honore les origines de la terre, l'expression la plus fruste de la nature.
A ce jour, dans la tradition la plus stricte, ces règles restent valables et seront peut-être amenées à évoluer un jour encore. En effet, un arbre "yamadori" - c'est-à-dire prélevé dans la nature et non pas élevé en pépinière à partir d'un semis ou d'une bouture - ne peut être présenté en tokonoma; il est présenté à même le sol en avant de l'estrade qu'il ne souillera ainsi pas de son origine considérée comme moins noble. Accèdera-t-il au tokonoma?
A préciser encore que tout accessoire ne trouve place qu'en périphérie du tokonoma ou du tempai: figurine, suiseki, kakemono, sont rassemblés dans une étagère qui jouxte l'alcôve, le "kasari doko".
Je trouve intéressant de comprendre cette origine qui explique le grand décalage entre d'une part les présentations actuelles que l'on peut voir depuis l'Europe (magazines, livres, catalogues d'expositions) et d'autre part cette codification stricte et traditionnelle.
On peut imaginer bien sûr l'intérêt des professionnels du bonsaï à entretenir un marché de l'accessoire (kakemono, tablette, figurine, suiseki) qui est bien évidemment lucratif. Mais ainsi, chacun peu selon ses goûts mettre en place une présentation pour un tokonoma; selon des règles plus traditionnelles ou plus contemporaines.
L'importation de l'art du bonsaï en Europe, sans le cadre culturel préexistant, amène des variations libres de toutes codifications; ceci au risque de dénaturer une tradition forte. Personnellement je préfère voir une tradition évoluer; c'est-à-dire voir une réinterprétation des symboles traditionnels plutôt qu'une utilisation émancipée et ignorante des symboles manipulés.
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